Pape François. La Révolution

  • Dernière modification de la publication :janvier 6, 2024

Benoît Élie AWAZI MBAMBI KUNGUA, « Recension de l’ouvrage de Jean-Marie Guénois, Pape François. La Révolution, Gallimard, Paris, 2023, 287 pages, ISBN : 978-2-07-269299-4. Prix : 21€. ».

Ni vaticaniste, ni universitaire, ni historien, l’auteur revendique d’entrée de jeu la posture du journaliste qui arpente les couloirs du Vatican depuis 40 ans et ayant observé de l’intérieur les arcanes de ce pouvoir spirituel fondé sur la mission confiée à Pierre par Jésus, en tant que le chef du « Collège apostolique et épiscopal » depuis 2000 ans déjà. Il a ainsi suivi de très près et de l’intérieur les pontificats de Jean-Paul II, Benoît XVI et François. Ce pouvoir spirituel est bel et bien « un lieu » chargé d’histoire, de culture philosophique et spirituelle ainsi que d’intrigues politiciennes inévitables dans toute institution humaine et divine. La posture du journaliste permet de croquer des détails et des anecdotes sur le vif, d’engranger des confidences, des alliances entre groupes et des coups bas entre différents acteurs qui font vivre les différents bureaux et rouages de la Curie romaine au service du Pape et de la communion dans l’Église universelle. Comme dans toute communauté humaine, les séductions de l’argent, du pouvoir, du sexe et du plaisir coexistent avec la piété, l’union mystique au Christ et les œuvres de charité pour les plus pauvres et les petits qui bénéficient d’un amour préférentiel de Dieu lui-même. L’Église est ainsi le sacrement de l’alliance entre Dieu et toute l’Humanité dont le Mystère échappe au totalitarisme du positivisme, du scientisme et des technosciences mondialisées.

L’auteur a aussi été témoin, observateur et analyste à partir de multiples possibilités de pénétration de cet « État minuscule et hermétique » qu’offre son statut de journaliste. Après plusieurs lectures et relectures de son ouvrage bien documenté et finement écrit, j’émets l’hypothèse qu’il se situe lui-même dans le camp des catholiques conservateurs et traditionnalistes. Je retiens trois clés herméneutiques avant de poursuivre ma recension de cet ouvrage minutieusement documenté, écrit dans un style clair et fluide, avec un souci constant de montrer la diversité et les nuances de courants théologiques, intellectuels, idéologiques et politiques qui traversent cet empire à la fois temporel et spirituel qu’est l’Église catholique romaine :

1/ Une première piste herméneutique consiste à tenir simultanément la primauté de la provenance divine de l’Église de Jésus-Christ et la réalité de l’humanité pécheresse de ses membres, du Pape au simple baptisé perdu dans son village reculé du Tiers-Monde.

2/ Un leitmotiv théologique traverse l’ouvrage d’un bout à l’autre consistant à affirmer que l’Église de Jésus-Christ doit tout d’abord être comprise et analysée dans sa dimension mystique et trinitaire, donc comme une réalité spirituelle dont le centre de gravité est au Ciel et non pas dans les méandres, les guerres et les crises de l’histoire. De façon récurrente et convaincante, l’auteur réaffirme que le mystère de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie constitue l’essence et la raison d’être de l’Église dans le monde. C’est le point de vue approprié à partir duquel l’Église se comprend elle-même sans nier les vicissitudes, crises, schismes, intrigues du pouvoir temporel et luttes internes tout au long de son pèlerinage terrestre.

3/ L’ouvrage peut être lu comme une narration de la « révolution prophétique, évangélique et franciscaine » que le Pape François imprime à toute l’Église universelle en bousculant les kabbales, intrigues, passe droits, combines, magouilles et luttes de pouvoir qui se jouent dans la forteresse bien gardée de la Curie romaine. Le Pape invite les chrétiens à abattre les bastions[1] qu’ils ont érigés entre le monde et eux ; et à accueillir les pauvres, les migrants, les exclus, les divorcés remariés, les homosexuels et tous ceux qui sont assignés dans les périphéries des Églises et des sociétés consuméristes de la vieille Europe et de l’Amérique du Nord. Cette déconstruction des arcanes vaticanes par le Pape François est longuement racontée à chaque page de l’ouvrage. Une anecdote résume bien cette guerre interne entre le Pape et la Curie : « C’est à se demander qui est vraiment chez soi au Vatican ? Le Pape ? On peut parfois se poser la question. Une histoire romaine raconte que Dieu le Père demanda à son fils Jésus et à l’Esprit saint où passer les vacances cette année-là. Et l’Esprit saint de répondre : « Le Vatican, chouette, je n’y suis jamais allé ! » Sous-entendu : même cet esprit d’amour, d’intelligence et de sagesse de Dieu, selon la théologie, ne serait jamais hasardé dans ce monde clos, trop humain pour entendre les voix de Dieu. Ce qui est évidemment exagéré et faux mais qui dit quelque chose de vrai. » (pp. 33-34).

La révolution prophétique de la pauvreté promue par le Pape François est analysée en contraposition avec le pontificat de Benoît XVI – deux papes aux caractères différents et qui ont donné à l’Église de vivre pour la première fois la cohabitation entre un Pape émérite (intellectuel de haute volée, professeur d’Université et responsable de la doctrine de la foi sous le long pontificat de 26 ans de Jean-Paul II) et un Pape en fonction, homme de terrain, vivant dans la simplicité, fougueux, prophétique, voire colérique et pragmatique qui donne la première place au peuple de Dieu qui vit de sa foi quotidienne et non au cléricalisme des prêtres, évêques et cardinaux qui construisent des barrières pour sauvegarder et perpétuer leurs privilèges, pouvoirs et honneurs mondains. La personnalité bouillonnante, impétueuse et autoritaire du Pape François a suscité des résistances aussi bien au sein de la Curie, du collège cardinalice et d’autres évêques plus conservateurs et qui résistent aux réformes permanentes du Pape François. Tout en étant très critique envers les dérives autoritaires et autocratiques du Pape François, l’auteur termine son avant-propos en ces termes : « François restera l’un des grands papes de l’histoire dans sa volonté de réforme de l’Église et un authentique religieux attachant, passionné de Dieu mais également rusé, éminemment politique. Ce travail, je le disais, est celui d’un journaliste libre. Ces quelques pages composent, je l’espère modestement, un livre libre. » (p. 14).

Résumons maintenant les différents chapitres qui charpentent l’ouvrage :

Le premier chapitre (« Un Argentin secoue le Vatican ») relate le séisme que constitue le pontificat de François et sa singularité comme premier Pape jésuite et latino-américain, élu le 13 mars 2013. Dès la première ligne, l’auteur rapporte la perfidie des « blagues vaticanes et cardinalices » sur la démarche du Pape qui marcherait comme un « paysan ». Il parle aussi des gros souliers noirs à semelle orthopédique. Mais en réalité, Jorge Mario Bergoglio, né le 17 décembre 1936, est issu de la bourgeoisie laborieuse des immigrants italiens de la deuxième génération. Son entrée dans une congrégation élitiste comme les Jésuites en témoigne. En substance l’auteur révèle le contraste frontal entre la culture impériale, royale et féodale de la Curie romaine et la spiritualité de la simplicité, du rapprochement envers les pauvres, les petits, les émigrés, les femmes et les laïcs qui ne sont pas considérés par les « monsignores » de l’Administration centrale du Vatican. Le Pape vit comme un disciple de Saint François d’Assise avec une mystique de l’adoration divine, de l’écologie intégrale et du service des pauvres et des exclus des institutions ecclésiales et politiques. La première volée de bois vert du Pape envers les hauts dignitaires de la curie romaine eut lieu le 22 décembre 2014, dans l’opulente salle Clémentine du Vatican. Après leur avoir demandé pardon, le Pape les a littéralement sermonnés en dénonçant les maladies qui ruinent la curie. Il en a retenu 15 en deux catégories : les maladies collectives (le narcissisme, la putréfaction mentale de ceux qui ont un cœur de pierre et qui se cachent sous les papiers et les dossiers, la rivalité, la vanité, le commérage, la zizanie comme Satan, exhibitionnisme, la poursuite des profits mondains, la flatterie des chefs, le carriérisme, l’idolâtrie des chefs à la place de l’adoration qui revient à Dieu Seul) et les maladies individuelles (La schizophrénie existentielle ou la double vie, L’Alzheimer spirituel, L’idolâtrie du pouvoir, du savoir et du plaisir au lieu de l’Adoration qui est uniquement due à Dieu Seul, La maladie du visage funèbre, de la rigidité, la sévérité et de l’arrogance).

Le deuxième chapitre (« Les dessous d’une cohabitation inédite ») s’attelle sur les 9 ans de cohabitation entre le Pape émérite Benoît XVI et le Pape en fonction François dans les jardins de Vatican : L’un, intellectuel et théologien de haute volée, se retira au monastère Mater Ecclesiae ; et l’autre, pragmatique et pasteur de terrain hors classe, alla s’installer dans la « maison Sainte-Marthe ». Les deux papes furent des finalistes du Conclave de 2005 qui a élu le Cardinal Joseph Ratzinger. À travers ces deux Papes, ce sont deux visions théologiques et politiques de l’Église qui s’affrontent en sous mains : les cardinaux conservateurs/ traditionnalistes et les cardinaux progressistes/réformistes. Ce sont eux qui élisent le Pape. Si le long pontificat de Jean-Paul II (26 ans) et celui de Benoît XVI (8ans) peuvent être caractérisés comme plutôt conservateurs, François représente le courant progressiste et réformiste qui accueille les requêtes de la « Modernité » à la suite de l’ouverture de l’Église catholique au monde préconisée par le Concile Vatican II. Il importe de rappeler encore une fois la période d’incubation de la crise moderniste du Concile Vatican I au concile Vatican II et dont les soubresauts continuent de fissurer le tissu ecclésial avec une grande magnitude dans les sociétés laïques et sécularisées du monde occidental. Le style sobre et ascétique de François qui vit dans une suite de la maison Sainte-Marthe contraste avec la résidence officielle occupée par ses prédécesseurs. Faut-il avoir un clin d’œil de la Providence qui invite à un réajustement évangélique du ministère pétrinien dans l’Église catholique ? Faudrait-il déjà parler d’un tournant prophétique de la Papauté au XXIème siècle imprimé par le Pape jésuite nourri de la mystique franciscaine de la fraternité universelle, de la théologie de la libération latino-américaine et de l’écologie intégrale considérant la création comme un don de Dieu à la famille humaine qui en est redevable ? La cohabitation entre ces deux Papes a été marquée par quelques conflits idéologiques et pastoraux entre les partisans de François qui appuient ses réformes de la curie et de la synodalité dans l’Église et les partisans de Benoît XVI qui ont mis en garde François sur l’ordination des hommes mariés, des femmes, et la promotion des laïcs dans les sphères cléricales de la Curie romaine. L’un des épisodes pimentés du conflit de pouvoir entre les deux papes fut la publication par les Éditions Fayard d’un ouvrage cosigné par le Cardinal Robert Sarah et le Pape émérite Benoît XVI sur la défense du célibat sacerdotal le 15 janvier 2020, sous le titre : Des profondeurs de nos cœurs.

Le troisième chapitre (« Le Royaume du Pape ») procède à une phénoménologie historique du pouvoir spirituel et temporel du Souverain Pontife en mettant l’emphase sur sa vocation de « Vicaire du Christ » dans le monde. En tant que pasteur de l’Église universelle, il est appelé à la conversion quotidienne aux valeurs du Royaume de Dieu annoncé par le Christ. Il doit sans cesse lutter contre ses propres péchés de suffisance, d’amour de soi, d’égoïsme, de la concupiscence de la chair et des pompes du diable. Le ministère papal repose sur sa capacité à veiller dans la prière, la lectio divina et la charité fraternelle pour accroître la vigilance spirituelle du peuple de Dieu, du corps du Christ et du temple de l’Esprit Saint qu’est l’Église catholique. Par conséquent, c’est la vie spirituelle et l’intériorité du Pape qui constitue la clé de voûte pour comprendre sa personnalité bouillonnante et sa vocation comme Vicaire du Christ dans le monde. Ceci n’empêche pas que des analystes exercent une lecture sociologique et politique de l’Église car elle est constituée des personnes humaines. Mais la priorité essentielle de l’Église est sa foi, sa mystique et sa contemplation du Mystère trinitaire qui la fait vivre à chaque pas de son pèlerinage terrestre.Le Royaume du Pape n’est pas d’abord un pouvoir temporel de ce monde, mais plutôt une vocation mystique et une fonction théologique consistant à nommer et à ordonner des évêques, qui, à leur tour ordonnent des prêtres en leur transmettant le pouvoir consécrateur des sacrements destinés aux fidèles. Le Magistère pétrinien vise la transmission du dépôt de la foi apostolique dans l’Église et la fidélité à la tradition bimillénaire de l’Église catholique romaine. D’où sa fonction de législateur suprême du droit canon et les évêques participent à ce collège apostolique par délégation papale (Canon 331-334).

Le quatrième chapitre (« L’Église catholique se méfie des réformes ») traite des difficultés, traumatismes, schismes et divisions que les réformes suscitent dans l’Église depuis celles de Luther, Calvin et Zwingli au XVIème siècle. Chaque réforme est toujours une occasion des conflits violents et durables dans le tissu ecclésial. Il convient de signaler que le Conclave de 2013 a confié au Pape François la mission de réformer l’Église à deux niveaux : le plan institutionnel et bureaucratique de la Curie romaine et le plan théologique, pastorale et éthique de la vie de foi. Il fallait alors une personnalité autoritaire, audacieuse, prophétique et aguerrie capable d’incarner cette double mission, à ses risques et périls. Selon l’auteur, l’autoritarisme du père Bergoglio a écourté son expérience de provincial des Jésuites de l’Argentine (1973-1980) et l’a éloigné des postes d’autorité durant 12 ans jusqu’à ce que le cardinal Antonio Quarracino l’élût en tant qu’évêque auxiliaire de Buenos Aires en 1992. Jean Paul II le créera cardinal en 2001. C’est plutôt le camp des cardinaux réformateurs qui ont fait élire François avec un agenda réformateur ouvertement affiché. Cela est advenu après deux pontificats qui peuvent être qualifiés de « conservateurs » mettant l’accent autour d’un équilibre entre les deux camps dans l’application du Concile Vatican II en accueillant les questions et requêtes de la « crise moderniste » dans l’Église – et plus spécialement dans les Églises occidentales d’Europe et d’Amérique du Nord qui ont subi de plein fouet les conséquences abrasives de la sécularisation, de l’indifférence religieuse, de la déchristianisation, de la disparition des congrégations religieuses et de la diminution drastique des prêtres, religieux et religieuses dans les Églises. Aujourd’hui, alors que la première étape du synode sur la collégialité vient de s’achever à Rome, le 29 octobre 2023, il importe de signaler les divisions, les débats théologiques et l’inquiétude des quelques cardinaux conservateurs qui adressent au Pape François des questions de clarification (dubia) sur des réformes doctrinales, pastorales et organisationnelles qu’il est en train d’imprimer dans l’Église, notamment : l’accueil des couples divorcés remariés, la bénédiction des couples homosexuels, le mariage des prêtres, l’ordination diaconale des femmes, l’accueil des laïcs dans les synodes des Évêques. Parmi les théologiens réformistes qui inspirent le pape, citons l’ouvrage de Yves Congar (Vraie et fausse réforme dans l’Église, 1950) qui fut censuré par le Saint-Office de 1950 à 1967. Toutes ces réformes sont menées selon 4 principes philosophiques qui sont longuement explicités dans son Encyclique Evangelii Gaudium : 1/ Le temps est supérieur à l’espace, 2/ L’unité prévaut sur le conflit, 3/ La réalité est supérieure à l’idée, 4/ Le tout est supérieur à la partie.

Le cinquième chapitre (« La Réforme de l’égalité ») présente la promotion de l’égalité aussi bien par rapport aux religions non chrétiennes (Islam, Judaïsme, Bouddhisme…) qu’à l’intérieur de l’Église, où le Pape combat avec beaucoup de détermination la culture cléricale du pouvoir absolu des clercs sur les laïcs jusqu’aux abus de pédophilie couverts par le silence de quelques évêques. Ces scandales sexuels commis par des membres du clergé ont fortement et durablement discrédité les Églises catholiques en Occident et pèsent lourd dans le processus de sa marginalisation et de sa perte de crédibilité sociale. Face à la dénonciation du « terrorisme islamique », le pape dénonce aussi la « violence catholique ». Sa proximité envers les serviteurs du Vatican et les plus pauvres va pousser François à célébrer dans une même soirée du 31 juillet 2016, et autour du même gâteau, le départ à la retraite de son porte-parole, le père jésuite Lombardi et un simple employé du Vatican, porteur des gros colis et grosses valises pendant les voyages du Pape.Ce dernier a été invité à l’improviste par le Pape lui-même. François exhorte ainsi les chrétiens à imiter leur Seigneur Jésus-Christ qui accueille toute personne sans discriminations socio-professionnelles et hiérarchiques et s’est mis à genoux pour laver les pieds de ses disciples le Jeudi saint. Sur ce point il a prêché par l’exemple, à temps et à contretemps, en allant rencontrer les prisonniers, les émigrés, les réfugiés et les croyants d’autres religions, et plus spécialement l’Islam.

Le sixième chapitre (« la révolution de la fraternité ») réfléchit sur la fraternité universelle qui découle de l’universalité de l’Évangile de Jésus-Christ adressé à toutes les nations du monde. C’est la problématique de son Encyclique ‘’Fratelli tutti[2]’’ qui promeut la notion ‘’d’amour politique’’ devant régir les interactions sociales aux niveaux local et mondial de la vie publique. Si François d’Assise – dans son ouverture religieuse aux musulmans de son époque – est l’inspirateur principal de cette Encyclique, l’amitié avec le cheikh Ahmed Al-Tayeb, grand imam de l’université et de la mosquée d’Al-Azhar du Caire, a constitué le catalyseur dans son élaboration. Il se sont rencontrés d’abord au Vatican le 23 mai 2016 durant la guerre contre l’État islamique et ensuite, en février 2019, lors de la signature de la déclaration sur la « Fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune », à Abu Dhabi, la capitale des Émirats arabes unis, et finalement, en septembre 2022 au Kazakhstan, pour le sommet mondial des religions. C’est cette fraternité universelle des croyants au Dieu unique et Père de tous les hommes qui a inspiré l’homélie du Pape lors de la messe de clôture de la première session vaticane du synode sur la synodalité, le 29 octobre 2023, où l’amour du prochain constitue le lieu de vérification et de validation quotidienne de notre Amour envers Dieu, qui est le « Tout Autre » par excellence. Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas. Ainsi, sa première sortie officielle le 13 juillet 2013, en tant que Pape fut sa visite auprès des réfugiés dans l’île de Lampedusa, où il a prié et mangé avec eux dans une barque au bord de la plage. C’est durant cette visite qu’il lança sa lutte contre « la mondialisation de l’indifférence des nantis » par rapport aux souffrances durables des immigrés et des réfugiés dont la plupart se noient dans la Méditerranée avec leurs embarcations de fortune. Cet engagement soutenu en faveur des réfugiés lui vient de ses propres racines familiales en tant que petit-fils des immigrés italiens réfugiés en Argentine. La réforme de la curie romaine dans le sens du service des fidèles du Christ, la culture de la collégialité et de la synodalité ainsi que l’action pour l’accueil des réfugiés dans la vieille Europe constituent les principales réalisations du Pontificat de François.

Le septième chapitre (« La révolution de la liberté ») se concentre sur la promotion de la liberté intérieure, spirituelle et mystique qui doit nourrir la foi du peuple de Dieu. Cela passe par la méditation quotidienne de la parole vivante de Dieu, la prière et des actes de charité envers les plus pauvres et les laissés-pour-compte de nos communautés ecclésiales et politiques. Si la révolution de l’égalité est politique – parce qu’elle s’est attaquée aux privilèges de pouvoir dans les institutions vaticanes – et si la révolution de la fraternité visait la visibilité de l’action pastorale de l’Église catholique dans la géopolitique mondiale des religions et des sociétés humaines ; alors, la révolution de la liberté se fonde sur la corrélation vitale entre les vertus théologales de la foi, de l’espérance et de la charité et les engagements des chrétiens dans les sociétés et les Églises, où ils vivent.

Le huitième chapitre (« Les sept travaux du Pape François ») présente succinctement 7 principales réalisations de son pontificat : La première action révolutionnaire de son pontificat a été sa demande surprenante à la foule pour qu’elle prie Dieu pour lui avant que lui-même ne leur donne sa première bénédiction papale le jour de son élection, il s’agit d’une requête inédite dans toute l’histoire de la papauté. Ce geste à la fois symbolique et prophétique s’inscrit dans sa volonté de simplifier le ministère pétrinien en le dépoussiérant de la pompe impériale, monarchique et féodale qui l’a éloigné de la simplicité et de l’humilité du Christ, lavant les pieds de ses disciples la veille de sa passion.  La deuxième action est celle de la focalisation sur la vie concrète des gens avant l’enseignement du dogme. François a milité pour une Église accueillante et inclusive qui ouvre ses bras à tout le monde sans discrimination aucune. Cette révolution peut se résumer par le slogan : « Il est interdit d’interdire ».  La troisième action privilégie l’éthique avant la morale.  En d’autres termes, François place le curseur de son magistère en visant les questions de l’immigration, de la pauvreté, de la misère et des inégalités structurelles aussi bien au sein des pays riches du Nord que dans le Sud global. Sans nier la focalisation de ses prédécesseurs sur les questions de morale sexuelle et familiale (Jean-Paul II et Benoît XVI), François met son curseur sur les questions de la paupérisation croissante, des crises écologiques et des migrations du Sud vers le Nord, à la faveur de l’effondrement des États sous les coups de boutoir des logiques prédatrices et belliqueuses de la mondialisation néolibérale. La quatrième réalisation est son sens de la gestion des détails et son pragmatisme autoritaire qui le fait écarter des collaborateurs qui n’entrent pas dans l’esprit des réformes qu’il impulse. François est un lève-tôt qui commence sa journée dès 4 H du matin avec une longue période d’oraison selon les exercices spirituels de Saint Ignace avant de célébrer sa messe avec quelques invités sélectionnés par ses services. Le petit déjeuner est suivi des rendez-vous et des réunions avec ses collaborateurs. Il veut lui-même contrôler toutes les phases d’accomplissement de ses décisions réformatrices et subversives par rapport aux habitus de pouvoir séculaires du grand mastodonte qu’est la puissante curie romaine. Il a un sens politique inné avec son caractère pragmatique, autoritaire et parfois colérique aux dires de ses proches collaborateurs aussi bien en Argentine qu’au Vatican. La cinquième action analysée est son exercice autoritaire, autocratique et interventionniste du pouvoir pontifical par coups de synodes démocratiques et de décrets d’application décidés par lui-même. Ce qui fait qu’il a pris lui-même le contrôle du plus grand dicastère, celui de l’Évangélisation des peuples qui gère et nomme les évêques des anciens pays de mission non encore stabilisés aux niveaux administratif et financier. La sixième réalisation est la création d’un dicastère proposé à la communication et à la promotion d’une image de l’Église en phase avec les médias planétaires et leurs normes de visibilité et de validation des contenus communicationnels. La septième action idiosyncrasique du pontificat de François lui vient de son inscription dans la mystique politique des Exercices spirituels de Saint Ignace et la représentation des Jésuites comme un « ordre des intellectuels et des révolutionnaires » qui fut supprimé[3] par le Pape Clément XIV en 1773, avant d’être rétabli 40 ans plus tard. Selon l’auteur : « Les Jésuites sont réputés avoir inventé, si ce n’est justifié et développé, la « restriction mentale », cette capacité d’affirmer publiquement une contre-vérité sans mentir tout à fait pour protéger l’institution. Ils seraient des maîtres en intrigue, capacité liée à leur puissance intellectuelle, puisqu’ils sont, avec les Dominicains, l’ordre religieux le plus exigeant sur le plan de la formation de l’intelligence. ». Il importe de souligner ici la puissance de structuration de la vie spirituelle des Jésuites par la pratique quotidienne des « Exercices spirituels »[4] consistant à discerner les mouvements ou motions des esprits se produisant durant la méditation priante des Écritures saintes – et plus spécialement des Évangiles – dans la communion avec l’Église universelle. 

Le neuvième chapitre (« Les enjeux du prochain conclave ») soulève astucieusement les enjeux politiques, les coalitions, les luttes idéologiques et les tractations secrètes du prochain conclave qui élira le successeur de François au « moment connu de Dieu seul ». Il fourmille des détails historiques croustillants qui font apparaître en filigrane les conflits idéologiques (conservateurs/traditionnalistes vs Progressistes/Réformistes) qui ont surdéterminé les conclaves de la deuxième moitié du XXème siècle jusqu’à celui de 2013. Du concile Vatican I au Concile Vatican II, l’Église a été violemment agitée et divisée autour de la « crise moderniste ». En convoquant le concile Vatican II en 1961, Jean XXIII a voulu mettre à jour l’Église par rapport à la configuration idéologique et politique de la Modernité occidentale et des logiques séculaires, nihilistes et athées qui la propulsent dans le monde. Paul VI va avoir la rude tâche de faire appliquer le Concile en faisant face aux résistances des traditionnalistes sous la houlette de Mgr Marcel Lefebvre qui provoqua le schisme en ordonnant 4 évêques sans l’autorisation du Pape qui finit par l’excommunier en 1988. Jean-Paul II va continuer l’application du Concile Vatican II en cherchant un consensus avec les traditionalistes de Mgr Lefebvre. Son héritier et principal théologien de ses 25 ans de Pontificat, Benoît XVI, va lever en 2009 l’excommunication des partisans de Lefebvre (Fraternité Saint-Pie-X d’Écône) en les autorisant la messe traditionnelle (tridentine) selon le missel de Pie V. Il y a donc une « herméneutique de la continuité » entre la tradition et les ouvertures liturgiques et pastorales au monde moderne dans les Pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI. Par contre, François met en œuvre, in actu exercito, « une herméneutique de la rupture » avec une certaine tradition obsolète, en privilégiant l’ouverture au monde moderne préconisée par le Concile Vatican II. Ce qui l’a poussé à publier en 2022 un Motu proprio qui interdit quasiment aux traditionalistes de célébrer la messe traditionnelle de Pie V. Ses réformes vigoureuses de la Curie, du synode des évêques, sa lutte acharnée contre le cléricalisme et ses abus de pouvoir classent son pontificat du côté des progressistes et des réformateurs favorables à une ouverture de l’Église au monde moderne et aux autres religions non chrétiennes, et de façon plus volontaire avec l’Islam.

Le dixième et dernier chapitre (« Les secrets du conclave ») déconstruit les légendes autour des secrets divins qui présideraient à l’élection du Pape par les cardinaux appartenant aux camps idéologiques opposés. Au cœur des luttes banalement humaines pour le pouvoir absolu, pour les prestiges cléricaux et pour le monopole de la domination théologique, intellectuelle et politique, l’Esprit Saint souffle mystérieusement dans la barque de Pierre à travers ses voies insondables et imprévisibles. Comment articuler les intrigues bassement humaines pour le pouvoir impérial, l’avoir et le bonheur terrestre et l’action divine et insondable de la Trinité au cœur de l’Église ? Comment discerner la part humaine et la part divine dans le processus abscons de l’élection du Pape dans les splendeurs de la Chapelle Sixtine ? Signalons d’emblée deux tournants historiques :

1/ Il a fallu attendre près de 5 siècles pour briser l’hégémonie italienne (1522-1978) pour élire un pape non italien, Jean-Paul II et 2/ il a fallu attendre                                                                                                                                                                                                                  l’imposition du « secret » autour de l’élection papale sous l’initiative de Pie X à Noël 1904. Il le fit pour empêcher l’influence des puissances européennes qui ont toujours pesé dans les élections des Papes depuis des siècles. Les secrets des 5 derniers conclaves ont été dévoilés plus tard aux médias et nous permettent de réaliser le poids évident des luttes humaines pour la conquête du pouvoir souverain dans l’Église, mais aussi les surprises de la Providence divine au cœur des intrigues politiques des hommes qui composent l’Église terrestre. Un survol rapide nous donne ces résultats :

1/ Jean XXIII meurt le 3 juin 1963 et sa succession est connue d’avance en la personne du Cardinal Montini, alors archevêque de Milan, qui sera élu sans difficulté comme Paul VI qui fut déjà à 30 ans le numéro 3 du Saint Siège et à 57 ans, archevêque de Milan. Il sera élu haut les mains Pape à 65 ans après 4 tours de scrutin.

2/ Paul VI meurt le 6 août 1978 et les témoignages révèlent qu’il avait adoubé le patriarche de Venise, Albino Luciani comme son successeur. Mais son élection ne sera pas facile. Dès le premier tour, le cardinal Giuseppe Siri, archevêque de Gênes, très critique envers le Concile Vatican II obtint plus de voix qu’Albino Luciani. Les Cardinaux centristes et progressistes réagirent vigoureusement et firent élire Luciani rapidement au terme des trois autres tours du scrutin. Pour la deuxième fois consécutive, le camp conservateur perdit le siège pontifical. Le partisan de son élection rapide fut le Cardinal Giovanni Benelli, qui fut le numéro 2 du Vatican, avant d’être nommé à Toscane en 1977.

3/ Jean Paul I meurt le 28 septembre 1978, 33 jours après son élection. Sa mort nourrit jusqu’aujourd’hui des supputations et versions contradictoires surtout que le Vatican avait refusé toute autopsie de son cadavre. Le monopole italien se poursuit et logiquement dès le premier tour, les conservateurs appuyèrent le cardinal Giuseppe Siri et les progressistes soutinrent le cardinal Giovanni Benelli. Mais les deux camps se neutralisèrent au terme de 4 tours de scrutin. Les observateurs disent que le Saint Esprit a soufflé dans l’esprit du cardinal Franz König, archevêque de Vienne, ville voisine de Cracovie. Ce qui libéra le conclave du blocage entre Benelli-Siri. Le miracle fut accompli avec l’élection triomphale du premier Pape non italien depuis 1522.

4/ Jean-Paul II meurt le 2 avril 2005 après un long pontificat de 26 ans et fortement diminué par la maladie de Parkinson endurée courageusement depuis 1998. Sa succession se préparait secrètement toujours dans les mêmes luttes idéologiques et politiques entre Conservateurs autour du cardinal Alfonso López Trujillo, ancien archevêque de Madellin et président du conseil pontifical pour la famille et Progressistes (qui se nomment le groupe ou la maffia de Saint-Gall) autour de la figure du Cardinal Martini, artisan d’un Concile Vatican III. Ce groupe défendait déjà les thèmes promus par le pape François : Communion pour les divorcés-remariés, mariage des prêtres, reconnaissance ecclésiale de l’homosexualité, diaconat des femmes, érosion du pouvoir papal et promotion de la culture de la synodalité. Il ne manquait que la mondialisation de la crise écologique et celle des migrants. Dès le premier tour, le cardinal Ratzinger obtint 47 voix, le cardinal Bergoglio 10 voix et Martini 9 voix. Ce dernier se retira immédiatement en reconnaissant qu’il était atteint de la maladie de Parkinson. Au second tour, Ratzinger totalisa 65 voix et Bergoglio 35. Au troisième tour, Ratzinger obtint 72 voix et Bergoglio atteignit la majorité de blocage de 40 voix. Les observateurs racontent qu’à ce niveau, Bergoglio laissa le champ libre à Ratzinger pour éviter un affrontement brutal. D’autres analystes racontent que le cardinal Martini connaissant très bien le caractère autoritaire, impulsif, ombrageux et colérique de son confrère aurait déconseillé aux membres du groupe de Saint-Gall de voter pour son confrère bouillonnant. Ce qui fit élire Ratzinger au quatrième tour avec 84 voix et seulement 26 pour Bergoglio.

5/ Contre toute attente et à contre-courant de la doxa vaticaniste au sujet du tempérament endurant et austère du Pape allemand, Benoît XVI, il créa un précédent en renonçant à sa charge pontificale, le 11 février 2013. Il s’agit d’une décision historique qui surprit tout le monde et provoqua l’ire de ses partisans qui ne lui ont jamais pardonné sa démission inattendue. Les cardinaux sont pris de court. Les conservateurs misent sur le cardinal Scola, une personnalité brillante et théologien de haute volée, mais qui est considéré comme un intellectuel en surplomb par rapport aspérités, méandres et contradictions du terrain pastoral. Le groupe de Saint-Gall travaillait secrètement pour l’élection du cardinal argentin en faisant des réunions et du lobbying intensif. Le premier tour qui est toujours exploratoire donne les scores suivants : Scola (Italie) en tête avec 30 voix, Bergoglio (Argentine) 26 voix (le même score qu’au premier tour de 2005), Ouellet (Canada) 22 voix et 10 voix pour O’Malley (États-Unis). Le second tour afficha 45 voix pour Bergoglio, 38 pour Scola et 24 pour Ouellet. Le troisième tour donna 56 voix à Bergoglio, 41 à Scola et 14 à Ouellet. Le quatrième tour accorda 67 voix à Bergoglio, 32 voix à Scola et 13 voix à Ouellet. Étant donné qu’il faut une majorité de 2/3, il fallait un cinquième tour qui élit Bergoglio avec 85 votes contre 20 à Scola et 8 à Ouellet.

Ces archives dévoilent les luttes intestines, les coups bas, les différences théologiques et les intrigues de pouvoir qui président au processus ésotérique, séculaire et alambiqué de l’élection papale. Mais elles interdisent et empêchent toute approche syllogistique, déductive et a priori qui anticiperait l’élection effective et politique du Pape dans une alchimie tout aussi absconse entre la providence divine et les intrigues politiciennes et bassement mondaines des hommes, fussent-ils cardinaux de l’Église catholique romaine. En attendant la prochain conclave, l’Église est secouée par les innovations induites par le synode de la synodalité, de 2021 à 2024. Et comment situer les Églises africaines face aux conflits théologiques et politiques entre les Conservateurs/Traditionnels et les Progressistes/Modernistes ?

Conclusion : Les Églises africaines face à la « crise moderniste occidentale ». Perspectives philosophiques, théologiques et pastorales pour le XXIème siècle

En substance, les luttes théologiques et politiques en vue d’accéder au Siège de Saint Pierre et aux pouvoirs théologique, spirituel et politique qui en découlent doivent toujours être situées et problématisées dans la longue historicité bimillénaire de l’Église catholique. Si la Réforme protestante constitue une première fracture profonde dans l’Église à l’aube de la Renaissance et de la Modernité occidentale (XVIème siècle), alors la révolution des Lumières (XVIIIème siècle) – qui émane de cette proto-Modernité – a suscité la crise moderniste (XIXème au XXIème siècle) avec des implications dramatiques dans les sciences exégétiques et bibliques en amont de la dogmatique ecclésiale. De façon globale, je peux affirmer que la période d’incubation historico-critique de la « crise moderniste » dans l’Église s’étend du Concile Vatican I (1869-1870) au Concile Vatican II (1962-1965) et elle a donné naissance à deux principaux courants dans la hiérarchie de l’Églises : les Conservateurs/Traditionnalistes et les Progressistes/Modernistes. Si le concile Vatican I se tient au moment de la perte des États pontificaux – avec la promulgation du dogme de l’Infaillibilité pontificale – le Concile Vatican II a été marqué par l’affrontement entre les évêques traditionalistes et les évêques modernistes.

Ce fut aussi le moment de l’universalisation effective de la catholicité de l’Église en fondant des Églises locales en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Pour ce qui concerne les Églises africaines, il faut une vigilance épistémologique et théologique accrue de la part des théologiens africains pour ne pas exporter servilement les problématiques occidentales de la « crise moderniste » dans des sociétés africaines en plein processus souterrain et profond de retraditionalisation tous azimuts. Si la révolution philosophique et politique des Lumières se solde par le processus de laïcisation, de sécularisation, de marginalisation et d’exculturation du christianisme dans les sociétés technologiques en Occident, alors les sociétés africaines où Dieu et le monde des esprits occupent une place centrale dans la sphère publique ne sont pas du tout entrées dans le champ gnoséologique de la crise moderniste. La fermeture des paroisses, la vente des églises, la disparition des congrégations religieuses, le vieillissement des prêtres, la baisse drastique du clergé et l’indifférence par rapport au fait religieux dans les sociétés laïques et sécularisées du monde occidental sont des corollaires de la crise moderniste dans les Églises minoritaires et vieillissantes d’Europe et d’Amérique du Nord.

Dans des sociétés africaines où il n’existe pas de césure structurelle entre le monde terrestre et le monde céleste, entre le monde visible (matériel) et le monde invisible (spirituel), entre le monde politique et le monde religieux, la réflexion théologique et pastorale doit tenir compte de cette configuration cosmogonique, anthropologique, sociologique et phénoménologique dans laquelle les chrétiens africains vivent leur foi chrétienne dans une géopolitique caractérisée par des logiques d’exclusion de l’Afrique du centre politique et technologique de la mondialisation néolibérale. La paupérisation des masses africaines consécutives à la faillite des régimes corrompus et nécropolitiques explique l’inflation des problèmes, croyances et agressions du monde occulte des sorcelleries et des esprits endogènes dans la vie publique. La prise en compte des cosmogonies métaphysiques de la force vitale, de l’intrication entre le monde des vivants et celui des morts, de la connexion entre le monde physique (terre) et le monde spirituel de Dieu et des esprits (Ciel) constituent des préalables incontournables dans la nouvelle évangélisation de l’Afrique par les Africains. La théologie et la pastorale des Églises africaines doivent affronter avec les yeux de la foi au Christ Ressuscité l’inflation pathologique des questions liées aux sorcelleries, aux magies néo-pharaoniques, aux divinités ethno-tribales du Vodou assimilées aux Baals de l’Ancien Testament. Une vraie théologie prophétique, christologique et trinitaire du discernement des esprits doit être résolument mise en œuvre dans les Églises africaines. Des auteurs comme Ignace de Loyola, Adrienne von Speyr et Hans Urs von Balthasar constituent des ressources majeures dans cette pastorale trinitaire de la guérison divine et de l’Exorcisme dans les Églises africaines contemporaines. Les théologiens africains devront passer par une auscultation sociologique et phénoménologique des sociétés africaines qui s’auto-phénoménalisent à rebours des logiques de laïcité, de sécularisation, d’indifférence religieuse, d’athéisme et de déchristianisation en vogue dans les Églises et sociétés occidentales. Cette volonté de compréhension approfondie des cosmogonies religieuses des Religions traditionnelles africaines a occupé les travaux du théologien congolais Benezet BUJO qui vient de tirer sa révérence aujourd’hui même à Fribourg. Nous lui rendrons hommage dans le chantier du « Dictionnaire encyclopédique des Théologiens africains » qui sera publié sous l’autorité scientifique du CERCLECAD, et sous la direction de Jean-Claude DJÉRÉKÉ et de Benoît Élie AWAZI MBAMBI KUNGUA.

Benoît Élie AWAZI MBAMBI KUNGUA.

nabiawazi@gmail.com


[1] Je me réfère ici à un ouvrage courageux de Hans Urs von Balthasar, Raser les Bastions « Die Schleifung der Bastionen», 1952.

[2] Voir Benoît Élie AWAZI MBAMBI KUNGUA, Le Pape François, ‘’De Laudato si’’ à ‘’Fratelli Tutti’’. Une Herméneutique philosophique, politique et théologique, Les Impliqués/L’Harmattan, Paris, 2021.

[3] La suppression de la Compagnie de Jésus, ordre religieux fondé par Ignace de Loyola en 1540, est prononcée par le pape Clément XIV en 1773. Après avoir été expulsée du Portugal et de ses colonies en 1759, de France en 1763, d’Espagne et de ses colonies et du royaume de Naples en 1767, de Parme en 1768, la Compagnie de Jésus est supprimée universellement par le bref apostolique Dominus ac Redemptor du pape Clément XIV (21 juillet 1773). Elle survivra dans les pays dont les souverains — non catholiques — interdisent la publication du bref. La Compagnie est restaurée quelque quarante ans plus tard, en 1814, par le décret Sollicitudo omnium ecclesiarum (Extrait de Wikipédia, consulté le 10 novembre 2023 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Suppression_de_la_Compagnie_de_J%C3%A9sus

[4] Ignace de Loyola, Exercices spirituels, Desclée de Brouwer/Bellarmin, Paris, 1986. (Traduction du texte Autographe par Edouard Gueydan s.j. en collaboration, « collection Christus N0 61. Textes) ; Hans Urs von Balthasar (Von), H.U., Une théologie des Exercices spirituels, Desclée de Brouwer & Bellarmin, Paris & Montréal, 1996, pp. 154-155. (Choix de textes et introduction par Jacques Servais, s.j. Traduction française par Michel Guervel, s.j.) & Jacques Servais, Théologie des Exercices spirituels. Hans Urs von Balthasar interprète Saint Ignace, Culture et Vérité, Bruxelles-Namur, 1995 ; Hans Urs von Balthasar, Retour au Centre, Desclée de Brouwer, Paris, 1998, pp. 31-57 (Traduit de l’allemand par Robert Givord et Présentation de Vincent Holzer) ; Id., La prière contemplative, Parole et Silence, Paris, 2002 (Traduit de l’allemand par Bernard Kapp) ; Id., L’Amour seul est digne de foi, Parole et Silence, Paris, 1999 (Traduit de l’allemand par Robert Givord) ; Id., La vérité est symphonique. Aspects du pluralisme chrétien, Parole et Silence, Saint-Maur, 2000 (Traduit de l’allemand par Robert Givord et Michel Beauvallet) & Hans Urs von Balthasar, Adrienne von Speyr et sa mission théologique, Médiaspaul/Éditions Paulines, Paris/Montréal, 1985 (Traduit de l’allemand par Henri Engelmann, Robert Givord et Madi Lépine. Anthologie rédigée par B. Albrecht), pp. 50-51.