L’Église brûle. Crise et Avenir du Christianisme

  • Dernière modification de la publication :janvier 6, 2024

Benoît Élie AWAZI MBAMBI KUNGUA, « Recension de l’ouvrage d’Andrea RICCARDI, L’Église brûle. Crise et Avenir du Christianisme, Les Éditions du Cerf, Paris, 2022, 328 pages, ISBN : 978-2-204-14910-5,  Prix : 22 Euros.

« Du déclin du modèle tridentin de l’Église catholique en Occident au discernement des modalités charismatiques et prophétiques de la « Révolution évangélique » du Pape François », Recension critique d’Andrea RICCARDI, L’Église brûle. Crise et Avenir du Christianisme, Les Éditions du Cerf, Paris, 2022, 328 pages, ISBN : 978-2-204-14910-5,  Prix : 22 Euros. Par Benoît Élie AWAZI MBAMBI KUNGUA[1]. Texte qui sera publié dans notre revue : Benoît Awazi Mbambi  Kungua (Dir.), Télévision, Technoscience et transhumanisme. Critiques théologiques et philosophiques des manipulations biotechnologiques et biopolitiques de le l’espèce humaine au XXIème siècle. (À partir des œuvres de Michel Henry, Pierre Bourdieu, Jürgen Habermas, Jacques Derrida, Martin Heidegger, Le Prophétisme biblique, Jean-Marc Ela, Oscar Bimwenyi-Kweshi et Benoît Awazi Mbambi Kungua), Afroscopie XIII/2023, (Revue savante et pluridisciplinaire sur l’Afrique et les communautés noires), publiée par Le Cerclecad-Harmattan, Ottawa-Paris, 2023.

L’auteur amorce sa réflexion critique et prospective sur la crise interne de l’Église catholique en Occident en faisant une analogie avec l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris survenue dans la nuit du 15 au 16 avril 2019. Il importe de souligner d’entrée de jeu que le christianisme est fondamentalement une religion de la crise et de la mise en crise par Dieu[2] lui-même. Il recèle par conséquent des possibilités inouïes de gestion des crises historiques des Églises à condition que les chrétiens se ressourcent au mystère de la mort et de la résurrection de leur Seigneur. Ce qui rejoint la grande théologie du « Pathos de Dieu[3] » chez les prophètes d’Israël.

À la suite d’autres analystes avertis du christianisme occidental – sociologues, théologiens, historiens, acteurs laïcs – Andrea Riccardi présente un panorama dense, perspicace et convaincant des crises, mutations et problèmes qui accélèrent la disparition d’un modèle d’Église tridentine autour du territoire paroissial et provoquent le Pape, les évêques, les prêtres, les théologiens à repenser et à inventer des modalités ecclésiales neuves à partir desquelles l’Église pourra poursuivre sa mission d’annonce de l’Évangile de Jésus-Christ dans le monde tel qu’il est avec ses guerres néolibérales de monopolisation des ressources écologiques, minières et pétrolières et l’aggravation des inégalités sociales partout dans le monde. Tout en tenant compte du déclin politique de l’Europe dans la nouvelle configuration mondiale des puissances hégémoniques, l’auteur ausculte de l’intérieur les crises, blocages et conflits qui affaiblissent le catholicisme européen en faisant apparaître son insignifiance culturelle et politique au sein des sociétés sécularisées frappées par la crise nihiliste du sens de la vie et les blocages internes des démocraties néolibérales régies par le consumérisme, la xénophobie et l’économisme. La privatisation de la foi, l’inertie politique, l’atrophie intellectuelle et le déclin du catholicisme européen sont apparus au grand jour avec la résignation tous azimuts des évêques européens face aux injonctions des politiciens ayant imposé arbitrairement la fermeture des lieux de culte sans aucune protestation de la part des autorités ecclésiales. Cette démission pastorale des Évêques s’est aussi révélée dans les sociétés subalternes et sans États d’Afrique postcoloniale, où des autorités politiques ignorantes ont unilatéralement décrété la fermeture des lieux de culte et les confinements stupides des populations sans aucune argumentation médicale rationnellement motivée. Les Églises se marginalisent elles-mêmes en s’enfermant dans des sacristies et en désertant le champ politique et public où les chrétiens sont sommés de vaquer à leurs tâches citoyennes pour la survie quotidienne. Le Pape François s’est montré volontariste en allant prêcher dans une place Saint-Pierre vide et désertée. Il a en outre pris la parole à plusieurs reprises pour rappeler au genre humain sa finitude, ses fragilités et sa mortalité et la nécessité pour chaque individu de faire la place au Mystère de Dieu dans sa vie et au cœur des ravages mondiaux de la pandémie qui a opéré des coupes sombres à l’échelle mondiale – et de façon plus massive dans les pays développés pourtant équipées des infrastructures médicales sophistiquées. C’est le premier paradoxe du Covid-19 d’avoir déconstruit complètement les hiérarchies néolibérales face à la fatalité et banalité de la mort.

Dans le premier chapitre (« Une Église qui brûle »), l’auteur relève la dimension culturelle, symbolique et politique de Notre-Dame de Paris en France et en Europe. Les images de la télévision montrant en direct l’effondrement de la Flèche et la présence rapide du président Macron et de l’Archevêque de Paris sur les lieux dénotent la dimension nationale de l’incendie. Paris était assimilé dans l’imaginaire français et européen à cette cathédrale dont les travaux de construction ont commencé en l’an 1160 et qui a domicilié les grands événements, les guerres et les crises de l’histoire de la France. C’est tout d’abord l’Église des rois de France après la cathédrale de Reims, Napoléon y fut couronné par Pie VII en 1804. En août 1944, le général de Gaulle assista au Te Deum pour célébrer la libération de Paris du joug d’Hitler.

En s’appuyant sur le diagnostic sévère de Jérôme Fourquet et d’autres analystes, l’auteur soutient la thèse selon laquelle nous sommes en train de vivre la phase finale du déclin du catholicisme européen dont les trois signes prémonitoires sont : le dernier baptême en 2048, le dernier mariage catholique en 2031 et la disparition totale des prêtres français en 2044. Le diagnostic caustique à souhait se passe de tout commentaire et biens des signes de l’exculturation du catholicisme européens sont légion sur le terrain. L’histoire nous raconte la disparition des Églises latines d’Afrique du Nord qui ont donné des théologiens et des saints de l’envergure d’Augustin d’Hippone et de Cyprien de Carthage. Il importe de signaler que la relecture du Concile Vatican II – en amont et en aval – constitue un lieu théologique de premier plan dans le long processus de discernement spirituel et pastoral de la crise globale de l’Europe et de l’Église catholique par le Pape, le collège épiscopal et le peuple de Dieu dans le monde. Dans cette réforme conciliaire, les théologiens français ont joué un rôle décisif autour des figures telles que : De Lubac, Chenu, Congar et Daniélou. Dans leur grande majorité, les évêques français furent des protagonistes des réformes conciliaires et de leur réception pastorale dans la vie de leurs églises. Le schisme du spiritain Mgr Marcel Lefebvre étant l’exception qui confirme la règle. Les scandales récurrents de pédophilie des prêtres et des évêques envers des mineurs et des adultes ne font que confirmer le diagnostic de la phase finale de la disparition du catholicisme dans les sociétés fortement déchristianisées et sécularisées d’Europe et d’Amérique du Nord. Il importe de signaler l’application timide du Concile Vatican II dû au centralisme de Paul VI, à la longue papauté de 27 ans de Jean Paul II qui a misé sur l’annonce de l’Évangile dans un monde médiatisé sans nécessairement soutenir la responsabilisation des conférences épiscopales dans le gouvernement mondial de l’Église, et à l’affaiblissement du Magistère papal durant le règne de Benoît XVI à cause des affrontements idéologiques entre les conservateurs et les progressistes dans l’administration centrale de l’Église. Cette opposition idéologique et politique de ces deux camps dans les institutions de la Curie romaine ne fait que s’aggraver tout au long du Pontificat de François qui n’hésite pas à fustiger frontalement l’Alzheimer spirituel, la soif du pouvoir et du luxe au sein des évêques et cardinaux qui dirigent les dicastères du Vatican. En substance, l’élan prophétique lancé par Jean XXIII a été freiné par la centralisation et la timidité des Papes qui lui ont succédé : Paul VI, Jean Paul II, Benoît XVI et partiellement François dont les actes prophétiques et audacieux sont contrecarrés par la frange conservatrice du collège épiscopal et cardinalice.

Le deuxième chapitre (« L’Église européenne en difficulté ») poursuit l’auscultation pastorale et sociale des Églises européennes à partir de la culture du déclin qui déferle dans les autres pays en dehors de la France. En dépit de son ancrage bimillénaire en Italie, l’Église vit l’hémorragie des masses populaires qui la désertent à la faveur de la morosité et de l’apathie charriées par le processus de déchristianisation et de sécularisation. La souveraineté de l’État du Vatican au cœur de Rome (Les accords du Latran conclus par Mussolini en 1929) et le statut du Catholicisme comme la seule religion de l’État constituent deux bases constitutionnelles qui assurent un certain pouvoir spirituel et symbolique au souverain Pontife, comme chef de l’État du Vatican. L’exhortation apostolique (Evangelii gaudium) du Pape François n’a pas reçu un accueil enthousiaste auprès de l’épiscopat italien. Une atmosphère de morosité et d’apathie s’observe dans les églises locales italiennes. C’est le même processus de déchristianisation qui se vit dans la très catholique Espagne. Le concordat entre le Saint-Siège et l’Espagne sous le gouvernement du général Franco en 1953 reconnaissait à ce dernier le droit de présentation et de nomination des Évêques. Mais l’effondrement du Franquisme a accéléré le processus de sécularisation de la très catholique Espagne en faisant apparaître l’affrontement entre le camp de l’individualisme consumériste ambiant et le camp du national-catholicisme issu de Franco. L’indifférence et l’hostilité d’une grande partie de la société espagnole envers l’Église catholique sont des sentiments qui se généralisent au fil du temps. La culture du déclin de l’Église catholique observée en France, en Italie et en Espagne se confirme aussi en Allemagne. Il importe de signaler la puissance économique et théologique de l’Église catholique allemande avec son nombre élevé d’employés au service de ses paroisses et des institutions missionnaires et caritatives qui soutiennent beaucoup d’Églises du Tiers-Monde. Mais les scandales des actes de pédophilie ainsi que les rigidités doctrinales sur les divorcés remariés et les homosexuels ont montré des fissures profondes qui secouent cette Église dotée des ressources financières et théologiques importantes dans toute l’Europe. Dans ce tableau sombre et morose, il convient de signaler la « révolution évangélique » du Pape François qui invite à promouvoir une pastorale ecclésiale et synodale de la « Joie de l’Évangile ». Cette révolution prophétique s’inscrit dans la même dynamique charismatique que l’Encyclique « Evangelii nuntiandi » du Pape Paul VI. Cette ferveur charismatique constitue un contrepoint majeur contre le vent du déclin et de la disparition du modèle tridentin de l’Église autour du territoire paroissial. La révolution « bergoglienne » consiste dans la centralité du pauvre comme « lieu théologique primordial » des Églises en « sortie » vers les périphéries, les marges et les exclus de nos sociétés profondément inégalitaires.

Le troisième chapitre (« National-catholicisme, évangélisation ou quoi d’autre ? ») ausculte les Églises orientales de l’ancien bloc communiste face au vent du déclin du catholicisme en Europe. Le régime national-catholique en vogue dans ces pays ne favorise pas la reprise des vocations et la pratique religieuse en dépit de l’autorité morale et nationale reconnue aux Églises. Il s’agit souvent d’un catholicisme populaire des campagnes et des petites villes. Aujourd’hui, les valeurs néolibérales sont rejetées dans ces pays parce qu’imposées par l’Occident. Les Églises de Pologne et de Slovaquie sont beaucoup plus ferventes que celles de la Hongrie et de la Tchéquie qui expérimentent la phase finale du modèle tridentin que dans les autres pays d’Europe occidentale. Il y a un processus de désenchantement et de grisonnement des valeurs démocratiques et néolibérales qui ont été prisées au lendemain de l’effondrement du communisme et de l’URSS suite à l’écroulement du mur de Berlin en 1989. Ainsi se tourna la page des accords de Yalta. En Hongrie, le premier ministre Orbán surfe sur le dispositif national-chrétien pour avaliser sa distanciation des valeurs démocratiques et néolibérales d’Europe occidentale. En Pologne, le catholicisme a constitué un bastion de l’identité nationale autour de la figure emblématique de Karol Wojtyla. En dépit de sa forte intégration sociale, l’Église polonaise n’a pas redressé la courbe de la crise du modèle paroissial et sacerdotal issu du concile de Trente. La baisse drastique des vocations et le vieillissement exponentiel du clergé se déroulent comme dans les autres Églises européennes bien que le nombre des prêtres en fonction et la pratique dominicale soient plus élevés que la moyenne européenne. Dans son ensemble, l’épiscopat polonais reste circonspect à l’égard du Pape François.

Le quatrième chapitre (« Au cœur de la crise ») procède à une phénoménologie sociale de la crise des Églises européennes dont les manifestations sont : le grisonnement ecclésial, le vieillissement des prêtres, religieux et religieuses, la disparition des congrégations missionnaires qui vendent leurs bâtiments faute du personnel pour s’en occuper, la vente des églises et la baisse dramatique de la pratique religieuse. La révolution culturelle et anthropologique de mai 1968 en Occident constitue un lieu matriciel et herméneutique pour prendre l’ampleur de la crise et des secousses idéologiques et institutionnelles au sein des Églises locales européennes. Les congrégations missionnaires qui furent le fer de lance de l’évangélisation de l’Afrique au XIXème siècle sont en train de disparaître à vive allure et compensent partiellement leur déclin par la présence des prêtres et religieuses issus de l’entreprise missionnaire au lendemain de la Conférence coloniale de Berlin. Mais dans plusieurs institutions éducatives, caritatives et médicales, des laïcs compétents et dévoués ont pris avec succès la relève du personnel religieux. Cette situation de crise profonde et durable doit inciter les pasteurs de l’Église à reconnaître officiellement l’implication massive et significative des femmes qui remettent à flot plusieurs structures ecclésiales, sociales et caritatives. Les Églises ne peuvent plus ignorer la « révolution féminine » qui constitue une mutation majeure du XXème siècle. L’individualisme et le subjectivisme de la révolution de la Modernité ont accéléré l’effondrement du modèle d’autorité prescriptif basé sur des obligations compulsives sous peine du péché mortel. Le déclin des campagnes et la rupture entre les jeunes et l’Église constituent des facteurs aggravants de la disparition du modèle tridentin de la gestion paroissiale des fidèles. Mais elle ne sonne pas la fin de la religion, car la mission donnée par le Christ à son Église est d’annoncer l’Évangile à toutes les nations et dans le monde entier.

Le cinquième chapitre présente une radioscopie du long pontificat de 27 ans de Jean-Paul II sous le titre : « Jean-Paul II : exception ou illusion ? ».

Premier Pape non italien, Karol Wojtyla s’est vite intégré dans le microcosme romain avant de se présenter comme un pèlerin du Christ arpentant le monde entier pour annoncer l’Évangile. Sa solide formation philosophique et théologique, son sens mystique et ses années du ministère presbytéral et épiscopal durant le régime communiste ont forgé son caractère et renforcé sa force de conviction théologique, son aura médiatique mondiale et son charisme prophétique. Fin connaisseur des médias, il a annoncé l’Évangile par ses paroles et ses gestes, notamment lorsqu’il baisait le sol de chaque pays lors de sa descente de l’avion. L’image que je retiens de ce Pape charismatique est son geste de bénédiction des foules à la veille de sa mort, alors que la maladie de Parkinson avait considérablement réduit sa motricité. En dépit de son charisme personnel de « l’Évêque mondial », son pontificat n’a pas impacté sur le déclin de l’Église catholique en Occident. Il n’a pas non plus stoppé la centralisation de la Curie romaine et la timidité dans l’application des réformes conciliaires héritée de Paul VI. La plus value émotionnelle des grands rassemblements avec les jeunes n’a pas été capitalisée dans des stratégies pastorales et pédagogiques inscrites dans la longue durée. En substance, son pontificat fut une illusion dans la situation de déclin ecclésial jusqu’à la phase finale que nous vivons aujourd’hui. Le Cardinal Martini, appelé à déposer au procès de béatification, porte un jugement mitigé sur le long pontificat de Jean-Paul II : d’une part, il lui reconnaît son courage physique, sa forte concentration dans la prière et son charisme de prédicateur aux foules, d’autre part, il lui reproche d’avoir nommé des personnalités non qualifiées dans l’administration centrale de l’Église et l’occultation des conférences épiscopales et des évêques lors de ses tournées qui le faisaient passer pour « l’Évêque du Monde » dans un processus de verticalisation du pouvoir papal. L’émotion des rencontres avec les foules ne se transmuait pas en véritable « renouveau spirituel ».

Longtemps Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Joseph Ratzinger a été un proche collaborateur du Pape. Élu Pape en 2005 sous le nom de Benoît XVI, et dépourvu du charisme de son prédécesseur, ce grand théologien et intellectuel de haute volée, a eu du mal à faire face aux crises structurelles et aux scandales des abus sexuels du clergé sur les mineurs durant plusieurs décennies. Élu en 2013, le Pape François renoue avec la pastorale charismatique et prophétique de Jean-Paul II en créant des rapports simples, affectifs et directs avec le peuple de Dieu lors de ses sorties publiques à Rome et dans le monde. Dans un monde agité par les inégalités de la mondialisation néolibérale et dans un catholicisme complexe traversé par des multiples crises, la figure d’un Pape charismatique constitue un atout majeur dans le gouvernement de l’Église universelle. Jean-Paul II et François se sont investis avec ferveur dans le dialogue interreligieux et interculturel dans leurs actes et dans leurs écrits officiels.

Le sixième chapitre dresse un premier bilan de la papauté charismatique de François sous le titre : (« La grande crise et le Pape qui vient de loin »). Si Ratzinger avait été élu pour la continuité avec Wojtyla, c’est surtout parce que les cardinaux étaient convaincus que son immense savoir théologique l’aiderait à systématiser et à ordonner des intuitions contradictoires et brouillonnes de son prédécesseur. Ils étaient aussi convaincus qu’il pourrait remettre un peu plus d’ordre et de sévérité dans le gouvernement central de l’Église, notamment par rapport aux scandales sexuels des prêtres et évêques. Mais son sens de justice et la douceur de son caractère ne lui ont pas permis de recourir aux mesures répressives. Sa démission inattendue avait surpris tout le monde le 28 février 2013. L’aggravation de la crise dans la gouvernance de l’Église universelle a eu raison du grand théologien systématique qu’est Benoît XVI. La démission subite de Benoît XVI a été vécue comme un traumatisme dans l’Église universelle. L’élection du premier Pape latino-américain a constitué une bouffée d’oxygène dans une Église européenne vieillissante, malade de la décadence civilisationnelle du vieux continent et de son manque de perspectives d’un avenir meilleur à construire pour ses jeunes : « L’église est en partie malade de la maladie de l’Europe. Elle présente une faible capacité d’ouverture au monde, alors qu’au cours de ces deux derniers siècles, en particulier au XXe siècle, le catholicisme européen a été le protagoniste incontesté de la « seconde » mondialisation du christianisme, après celle des XVe et XVIe siècles en Amérique latine et ailleurs. »[4] François établit une relation directe, simple, affectif et proche avec le peuple de Dieu et insiste à temps et à contretemps sur la nouvelle évangélisation de l’Europe en jetant un regard attentif aux pauvres, aux migrants, aux exclus et à toutes les victimes de la boulimie et de la barbarie néolibérales destructrices des écosystèmes écologiques et des vies humaines à travers le monde. Ce déclin de l’Europe qui devient une périphérie des grands centres mondiaux de décision politique s’accompagne par des stratégies de repli sur soi et de fermeture des frontières aux migrants, aux pauvres et autres réfugiés à la recherche des meilleures conditions de vie. Ses deux encycliques[5] sur l’écologie et la fraternité universelle constituent la charte théologique, philosophique et politique de son pontificat qui amorce sa dixième année. Protagoniste de la théologie des peuples de Dieu – une variante non marxisante de la théologie de la libération en Argentine – François promeut une ecclésiologie du peuple de Dieu dont il est le prophète premier qui annonce la Bonne nouvelle du salut de Dieu en Jésus-Christ. Sur le plan de la gouvernance mondiale de l’Église, François fait face aux questions financières, aux scandales sexuels des clercs et des évêques, à la mentalité des « fonctionnaires de Dieu de la Curie », au cléricalisme et aux critiques acerbes des évêques et cardinaux conservateurs qui lui reprochent publiquement d’être un théologien de la libération marxisant et hétérodoxe.

Le septième chapitre ( « L’Italie du Covid-19 et l’Église en 2020 ») soulève avec franchise la question grave du mutisme total des évêques européens face aux mesures arbitraires et autoritaires de fermeture des Églises et d’interdiction du culte par les élites maçonniques de l’Anti-Christ qui chevauchent les sociétés nihilistes et déchristianisées d’Europe et d’Amérique du Nord durant la pandémie du Covid-19 qui a commencé à sévir en Italie. La résignation, la fatalité et la démission totale de l’épiscopat européen face aux manipulations idéologiques et pseudo-médicales des autorités politiques soulèvent la question explosive de la privatisation, de l’insignifiance et de la dépolitisation des Églises européennes. À l’exception d’un évêque français d’Île de France et d’un cardinal canadien, la couardise et la démission des évêques occidentaux face aux mesures autoritaires des politiciens sont largement ahurissantes et inacceptables. Ce qui est le plus révoltant pour le cas de l’Italie est que l’État a imposé la fermeture des Églises, alors que les bars, restaurants, cinémas et gymnases sont restés ouverts : « Le fait que l’état ait pris des mesures de façon unilatérale concernant le sort des églises, comme s’il s’agissait d’installations sportives ou de cinémas, représente en soi une atteinte aux accords. Il semblerait que les autorités gouvernementales italiennes aient manqué de sensibilité dans la compréhension de la valeur juridique et sociale de la réalité de l’Église. Ces faits ont concerné la première phase de la pandémie, jusqu’à la réouverture des églises en 2020. »[6] Où est la rationalité politique d’une telle imposture autocratique et despotique ?

Le huitième chapitre (« Un monde chrétien en transition. Quelques mots encore au sujet du Pape ») revient sur le ministère papal dans la mondialisation néolibérale des médias, des idéologies, des migrations et des pandémies. Alors que les leaders politiques des puissances hégémoniques occidentales qui arraisonnent les politiques vaccinales de l’OMS imposaient leurs « diktats » au monde entier en investissant les médias dominants, le Pape François a exhorté l’humanité entière à chercher les messages prophétiques de Dieu à travers la pandémie du Covid-19 qui nous a tous rappelé notre mortalité, nos fragilités et la solidarité incontournable de l’humanité condamnée à vivre ou à mourir ensemble sur la même planète. L’auteur dévoile aussi les groupes d’influence susceptibles d’influencer un conclave. Par exemple le groupe de Saint-Gall, réunissant les cardinaux progressistes a joué un rôle majeur lors du conclave de 2005. Parmi les membres de ce groupe, citons : le cardinal Danneels, le cardinal Martini, Mgr Fürer, Mgr Vilnet, les cardinaux Kasper et Lehmann, les cardinaux Silvestrini et Policarpo, et bien d’autres évêques. La mouvance traditionaliste et conservatrice a aussi des groupes d’influence aux États-Unis et en Europe qui n’hésitent pas à critiquer ouvertement et avec virulence le pontificat de François. Ces groupes réunissent des ecclésiastiques, des laïcs, des médias, des groupes de pression et des réseaux sociaux poursuivant l’objectif de corriger les « erreurs » de Bergoglio lors du prochain conclave.

Le neuvième chapitre parle de la mondialisation des migrations dans un monde structurellement inégalitaire (« Le monde, l’Europe et les peuples en mouvement. L’Église et les Étrangers »). Nous savons tous l’implication audacieuse et persévérante du Pape François dans l’accueil des migrants qui veulent atteindre l’Europe dans des embarcations de fortune et dont la majorité fait naufrage dans la Méditerranée devenue un cimetière global des pauvres et damnés de la terre. La montée des partis xénophobes et racistes d’Extrême droite en Europe et en Amérique du Nord constitue un « lieu théologique et pastoral » pour les Églises européennes. Le Pape a fait de l’accueil des migrants une priorité de son Pontificat et il n’hésite pas à fustiger les politiques de fermeture des frontières (son opposition frontale à Donald TRUMP) et d’ostracisation des migrants dans l’union européenne : « Conscient des problèmes des migrants et de la nécessité de politiques d’intégration efficaces, le Pape ne cesse de souligner le drame de cette question, d’abord sur l’île italienne de Lampedusa, puis sur l’île grecque de Lesbos, ou encore à la frontière mexicaine avec les États-Unis. »[7]

Le dixième et dernier chapitre (« Y a-t-il un avenir ? Insignifiance ») pose de façon laconique la question lancinante de l’avenir du christianisme dans un monde globalisé par les révolutions numériques, communicationnelles, commerciales et idéologiques. Si durant le XXème siècle, l’avenir du christianisme dans le monde se jouait dans la conquête du monopole du pouvoir théologique et politique entre les conservateurs et les progressistes, aujourd’hui, en cette aube du XXIème siècle, la mondialisation néolibérale a considérablement brassé les cartes et les paramètres en imposant une « révolution épistémologique et théologique » pour faire face aux défis inédits dans les 2000 ans du christianisme dans l’histoire de l’humanité.

Dans ce dernier chapitre, l’auteur a évoqué avec beaucoup d’à-propos la théologie prophétique du « Pathos  de Dieu » du théologien juif Abraham Joshua Heschel[8]. Il s’agit de mettre en évidence les pérégrinations de la Shekinah de Dieu sur les routes poussiéreuses de l’esclavage, de l’exil et des migrations mondialisées. La « révolution évangélique » du Pape François s’inscrit dans la grande tradition de la Torah et des prophètes[9] qui milite pour la justice et la compassion envers les couches pauvres, subalternes et vulnérables de nos sociétés au nom de la souveraineté absolue de Dieu sur sa création.

Pour clore cette recension substantielle je redonne la parole à l’auteur citant l’ultime paragraphe de son ouvrage : « Un peuple qui revient chanter dans les églises, et qui retrouve dans la crise la capacité de se réjouir et de pleurer, n’est plus dans la zone d’ombre du couchant ; il s’éveille aux fragiles lueurs de l’aurore du jour qui vient. Ceux qui ont la foi savent que l’histoire des croyants n’est pas seulement la leur, qu’elle est animée par l’Esprit. Et puis tout peut changer ! L’histoire est pleine de surprises, qui sont des dons tout en étant des réalisations humaines, qui sont le fruit des courants profonds qui habitent l’histoire des peuples et du monde. »[10]

Benoît Élie AWAZI MBAMBI KUNGUA

Philosophe, Sociologue et Théologien

Président fondateur du CERCLECAD (www.cerclecad.org, Ottawa, Canada).

Bibliographie recommandée pour approfondir la recherche à partir de la théologie prophétique et trinitaire de la Libération holistique.

Cardinal Joseph de Kesel, Foi et Religion dans une société moderne, Salvator, Paris, 2021, 141 pages.

 *B AWAZI MBAMBI KUNGUA, Panorama de la Théologie Négro-Africaine  Contemporaine, L’Harmattan, Paris, 20031, 210 pages, ISBN : 2-7475-3490-1, Prix : 18 Euros, 20212 (Deuxième Édition revue, corrigée et augmentée), ISBN : 978-2-343-22491-6, 440 pages, Prix : 39 Euros.

 *ID., Donation, Saturation et Compréhension. Phénoménologie de la Donation et Phénoménologie Herméneutique : Une alternative ?, L’Harmattan, Paris, 2005, 310 pages, ISBN : 2-7475-8743-6, Prix : 25,5 Euros. (« Collection ‘’Ouverture Philosophique’’ »).

*ID., Panorama des Théologies négro-africaines anglophones, L’Harmattan, Paris, 2008, 283 pages, ISBN : 978-2-296-06056-2, Prix : 27,50 Euros. (‘’Collection ‘’Églises d’Afrique’’).

*ID., Le Dieu Crucifié en Afrique. Esquisse d’une Christologie négro-africaine de la libération holistique, L’Harmattan, Paris, 2008, 330 pages, ISBN : 978-2-296-05864-4, Prix : 31 Euros. (Collection Églises d’Afrique).

*ID., De la Postcolonie à la Mondialisation néolibérale. Radioscopie éthique de la crise négro-africaine contemporaine, L’Harmattan, Paris, 2011, 204 pages, ISBN : 978-2-296-54944-9, Prix : 20,50 Euros (« Collection Études Africaines »).     

*ID, Déconstruction phénoménologique et théologique de la modernité occidentale : Michel Henry, Jean-Luc Marion et Hans Urs von Balthasar, L’Harmattan, Paris, 2015, 316 pages, ISBN : 978-2-343-03719-6, Prix : 33 Euros.

*ID.,  Le Tournant prophétique des théologies négro-africaines contemporaines. De l’Auto- Performativité de la Deutérose, L’Harmattan, Paris, 2021, 384 pages,  ISBN : 978-2-343-22664-4, Prix : 38 Euros.

       *ID.,  Le Pentateuque et l’Afrique. Une approche mystique, agricole et Bibliocratique, L’Harmattan, Paris, 2022.

*ID, LE PENTATEUQUE. Une introduction exégétique et théologique, L’Harmattan, Paris, 2022.

*ID.,  Élie Le Tishbite, Prophète du feu et du silence. Une réappropriation autobiographique, L’Harmattan, Paris, 2022.

*ID.,  Emmanuel MACRON, Achille MBEMBE et LA FRANÇAFRIQUE. Une déconstruction théologico-politique, L’Harmattan, Paris, 2021, 110 pages, ISBN : 978-2-343-23603-2, 13 Euros.

*ID.,  Jalons pour une autobiographie intellectuelle. Variations africaines et pluridisciplinaires sur la ModernitÉ occidentale, Les Impliqués / L’Harmattan, Paris, 2021, 191 pages, ISBN : 978-2-343-24917-9, 19,50 €

*ID.,  Le Pape François, ‘’De Laudato si’’ à ‘’Fratelli Tutti’’. Une Herméneutique philosophique, politique et théologique, Les Impliqués/L’Harmattan, Paris, 2021, 148 pages, ISBN : 978-2-343-22721-4, Prix : 16,50 Euros


[1] Docteur en Philosophie de l’université Paris IV-Sorbonne (avec une thèse en phénoménologie : Donation, Saturation et Compréhension. Phénoménologie de la donation et phénoménologie herméneutique : Une alternative ?, L’Harmattan, Paris, 2005, dirigée par le professeur Jean Luc Marion de l’Académie française) et titulaire d’un DEA en Théologie de l’université de Strasbourg, Benoît Awazi Mbambi Kungua focalise ses recherches pluridisciplinaires sur la quête d’un leadership éthique, intellectuel, prophétique et réticulaire, pour l’éclosion effective d’une « Autre Afrique », celle qui marche, fière, digne et debout, vers l’édification d’un avenir prospère pour ses populations malmenées par la crise économique dite pompeusement « mondiale ». Il est l’actuel président du Centre de Recherches Pluridisciplinaires sur les Communautés d’Afrique noire et des diasporas (Cerclecad, www.cerclecad.org) basé à Ottawa, au Canada

[2] Benoît AWAZI MBAMBI KUNGUA, Le Dieu Crucifié en Afrique. Esquisse d’une Christologie négro-africaine de la libération holistique, L’Harmattan, Paris, 2008, 330 pages.

[3] A.-J. Heschel, The Prophets, Harper and Row Publishers, 19621, Perennial Classics, New York, 20012.

[4] Andrea RICCARDI, L’Église brûle. Crise et Avenir du Christianisme, Les Éditions du Cerf, Paris, p. 213.

[5] Lire Benoît Élie AWAZI MBAMBI KUNGUA,  Le Pape François, ‘’De Laudato si’’ à ‘’Fratelli Tutti’’. Une Herméneutique philosophique, politique et théologique, Les Impliqués/L’Harmattan, Paris, 2021, 148 pages.

[6] Andrea RICCARDI, L’Église brûle. Crise et Avenir du Christianisme, op. cit., p. 231.

[7] Id., Ibid., p. 281.

[8] Lire ma présentation de cet auteur dans mon ouvrage : Le Dieu Crucifié en Afrique. Esquisse d’une Christologie négro-africaine de la libération holistique, L’Harmattan, Paris, 2008, pp. 249-298.

[9] Benoît Élie AWAZI MBAMBI KUNGUA, Le Tournant prophétique des théologies négro-africaines contemporaines. De l’Auto- Performativité de la Deutérose, L’Harmattan, Paris, 2021, 384 pages ; ID.,  Le Pentateuque et l’Afrique. Une approche mystique, agricole et Bibliocratique, L’Harmattan, Paris, 2022 ; ID, LE PENTATEUQUE. Une introduction exégétique et théologique, L’Harmattan, Paris, 2022  & ID.,  Élie Le Tishbite, Prophète du feu et du silence. Une réappropriation autobiographique, L’Harmattan, Paris, 2022.

[10] Id., Ibid., p. 324.