Le Pape François, ‘’De Laudato si’’ à ‘’Fratelli Tutti’’. Une Herméneutique philosophique, politique et théologique

  • Dernière modification de la publication :décembre 27, 2023

C’est avec joie que je diffuse la recension de l’ouvrage (Benoît Élie AWAZI MBAMBI KUNGUA, Le Pape François, ‘’De Laudato si’’ à ‘’Fratelli Tutti’’. Une Herméneutique philosophique, politique et théologique, Les Impliqués/L’Harmattan, Paris, 2021, 148 pages, ISBN : 978-2-343-22721-4, Prix : 16,50 Euros) faite par le père Alphée Mpassi.Bravo pour sa recension perspicace et inspirante.

Prolegomena

Laudato Si’ et Fratelli Tutti[1] sont deux encycliques du Pape François les plus populaires parmi plusieurs autres, notamment Lumen Fidei, Evangelii Gaudium, Gaudete et Exsultate etla très controversée Amoris Laetitia. Leur popularité est tributaire de ce qu’elles traitent respectivement des problématiques relatives à la crise écologique mondiale et à la relation avec l’altérité. Ainsi, LS et FT sont étudiés et commentés bien au-delà même du monde catholique. Pour emboîter le pas aux nombreux théologiens et scientifiques qui se sont intéressés à ces deux œuvres du pape François, Benoît Awazi a publié en 2021 Le pape François : de Laudato Si’ à Fratelli Tutti. Plus qu’un simple résumé des thèses développées par le pontife romain, l’ouvrage d’Awazi se constitue en une réappropriation de LS et de FT avec l’enjeu principal de mettre en relief des problématiques philosophiques, théologiques et éthiques qui s’y dégagent. Cette visée heuristique s’aperçoit a priori au travers du sous-titre qu’Awazi donne à son livre : Une herméneutique philosophique, politique et théologique. C’est autant dire qu’il adopte une posture critique dont le but est d’interroger LS et FT afin d’explorer les conditions de possibilité pour la promotion de l’harmonie entre les peuples, les races, les religions et les cultures.

Cette intentionnalité de nature à la fois herméneutique, philosophique, éthique et politique qui sous-tend le livre se décline en cinq (5) chapitres qui en constituent la structure architectonique. Chacun de ces chapitres se veut une analyse critique des encycliques du Pape François de Laudato Si’ (chapitre 1) à Gaudete et Exsultate (chapitre 5), en passant par la récension de Fratelli Tutti (chapitre 2), de Christus Vivit (chapitre 4) et celle de l’ouvrage de Michel Henry, L’essence de la manifestation (chapitre 3). L’insertion de L’essence de la manifestation de M. Henry dans une analyse critique consacrée essentiellement aux œuvres du pontife romain est symptomatique de l’intentionnalité herméneutique et critique qui caractérise la pensée d’Awazi en général. Elle cherche à trouver et établir des liens entre différents domaines de l’épistémè afin de dégager et poser les jalons d’un savoir pluridisciplinaire et holistique, capable d’inscrire l’Afrique dans le monde de la graphie-logos. Pour la présente récension, je ne propose pas un résumé des différents chapitres du livre. En revanche, j’adopte plutôt une approche thématique, en me focalisant essentiellement sur deux problématiques qui ont le plus retenu mon attention, notamment la crise écologique et la fraternité.

Cette approche se fonde sur un a priori simple : la crise écologique et la relation à l’autre sont deux problématiques et deux phénomènes qui sont au cœur des sujets préoccupants de notre monde contemporain. Du point de vue philosophique, la crise écologique soulève le problème de notre relation au monde, et la question de la relation à l’autre se confronte dans de nombreuses problématiques de migration, la question des frontières et l’accueil des réfugiés, etc.

Herméneutique de la crise écologique

C’est dans le premier chapitre, ‘Crise écologique mondiale, éthique de la responsabilité et théologie africaine de la libération holistique : une réappropriation africaine de l’encyclique Laudato Si’ du Pape François’, qu’Awazi élabore sur l’énigme de la crise écologique. Cette élaboration s’articule autour de trois axes complémentaires. Dans le premier, il propose un résumé de LS, en insistant sur l’agir humain et sur la technoscience qu’il, à la suite du Pape François, présente comme la cause causante de la crise écologique mondiale. Le deuxième axe explore la solution à cette crise. Selon Awazi, cette dernière réside dans la considération pratique de l’éthique—principe—responsabilité préconisée par le philosophe allemand, Hans Jonas. L’originalité de cette section tient en ce qu’elle initie un dialogue entre le Pape François et Hans Jonas, témoignant ainsi indirectement des affinités traditionnelles entre la théologie et la philosophie. Enfin, Awazi traite des fondements éthiques, philosophiques et théologiques pour l’émergence d’une écologie intégrale utile pour répondre aux défis écologiques contemporains.

Une des conclusions majeures de cette analyse est que, pour Awazi, la crise écologique déconstruit et questionne simultanément l’essence capitaliste du bonheur. Selon cette dernière, le bonheur correspondrait à une croissance illimitée des biens matériels et à une surexploitation de la nature. À cette conception, l’auteur, s’inspirant de Hans Jonas et du Pape François, oppose l’éthique de la responsabilité intégrale. Elle consiste fondamentalement en deux choses. D’abord, « à agir pour que les conditions de la vie sur terre puissent être maintenues pour les générations présentes et celles à venir ».[2] Ensuite, à ‘humaniser’ la technoscience afin de limiter ses effets sur l’environnement et la vie en général.[3] Awazi présente ensuite ce principe éthique de la responsabilité intégrale comme base conceptuelle pour penser et postuler une ‘théologie africaine de la libération holistique, capable de répondre aux défis de la crise écologique et économique mondiale. L’enjeu est de poser le modèle théologique africain comme « paradigme »[4] pour sortir de la crise écologique mondiale.

La prétention est tellement grande, pour ne pas dire osée, qu’elle porte en elle-même sa propre faiblesse. Cette dernière consiste en l’homogénéisation de la théologie africaine—je dirais même des théologies africaines—, comme s’il en existait une seule qu’il suffirait d’élever à l’universel, faisant ainsi fit des différentes et divergentes conceptions qui décorent et enrichissent le tableau théologique du continent. Laquelle devra être élevée à l’universel ? Sous quelles conditions et critères ? Une des possibilités à envisager serait plutôt d’engager un dialogue fraternel entre ces différentes théologies. L’enjeu de ce dialogue serait, non pas d’universaliser une théologie africaine unique, mais de dégager aussi bien les continuités que les discontinuités entre ces théologies comme antithèse à l’anthropocène.

La fraternité, antithèse de la crise écologique et du cloisonnement du monde

La notion de ‘fraternité’ joue un rôle de pivot dans l’architectonique de l’ouvrage d’Awazi. Elle émerge dans le 2e chapitre du livre dont la vocation est de présenter une reprise critique de FT du pape François. La fraternité y est décrite comme l’antidote non seulement du cloisonnement du monde, mais aussi des « fragmentations, divisions sociales, chômages et surtout la fermeture des frontières aux personnes immigrant d’Afrique et du Proche-Orient » et des conséquences post Covid-19, dont la principale est la peur de l’autre.[5] La fraternité est ainsi hissée parce qu’elle rappelle à l’humanité sa solidarité biologique et la nécessité de cohabiter ensemble pour subsister devant les nombreuses crises auxquelles elle est confrontée. L’urgence de cette fraternité a été mise en valeur par la pandémie de la Covid-19 qui, selon l’auteur, a « manifesté avec fracas la mortalité de l’être humain, son appartenance au régime animal et l’impossibilité de réussir tout seul ».[6] Pour le dire autrement, l’humanité ne peut se sauver et sauver le monde qu’en prenant conscience de sa coappartenance et de son interdépendance.

Sous les auspices du pape François, Awazi postule tout de même la fraternité comme la solution contre la montée, à l’échelle mondiale, du racisme et du néocolonialisme des Occidentaux qui tendent à traiter les peuples du tiers monde—surtout les migrants—comme des ‘sous-hommes’. Il n’est donc pas étonnant, de ce point de vue, que l’auteur qualifie cette attitude de « processus de Nazification » dont le but est de fonder la négation de la dignité de l’être humain non occidental. À cette volonté de puissance et d’exploitation aussi bien de l’être humain que de l’environnement, Awazi oppose une forme de vie qui s’ouvre et valorise l’ouverture à l’altérité verticale et horizontale, capable de permettre à l’humanité « d’aller en hauteur et en profondeur dans l’effort de la compréhension de l’énigme de la facticité humaine et mortelle de l’animal humain ».[7] En filigrane, Awazi fait une critique sans complaisance de la rationalité et de la culture occidentales. Selon lui, elles sont responsables de crises multiformes que connaît le monde. Elles consacrent une culture de déshumanisation esclavagiste, coloniale et néocoloniale, en forgeant une mentalité d’autodépréciation et d’exclusion des cultures non-occidentales. Le point nodal de la réappropriation awazienne des thèses du pape François c’est l’affirmation de l’urgence éthique et spirituelle de la fraternité universelle préconisée comme le fondement de toute politique humanisante qui doit se construire au-delà des barrières économiques et des discriminations de tout genre. Mais la question qui demeure est celle de penser les conditions de possibilité de cette fraternité universelle. Comment penser et vivre la fraternité dans le contexte actuel du cloisonnement du monde et de la crainte de l’étranger ?

Somme toute, l’on peut dire que Le pape François : de Laudato Si’ à Fratelli Tutti est une bonne introduction critique à la pensée théologique et sociale du pape. Le livre se distingue par sa capacité d’ouvrir des brèches et d’oser des interprétations qui confrontent la pensée du pape François à une appropriation pluridisciplinaire.  

Alphée C.S. Mpassi,

Université Radboud, Nimègue, Pays-Bas.

Ordonné prêtre en 2014 et originaire du Congo-Brazzaville, Alphée Clay Sorel MPASSI est membre de la Congrégation du Saint Esprit (dont les membres sont communément appelés « Spiritains »). Titulaire d’un Bachelor en Religion (University of Nigeria, Nsukka) et d’un Master en Théologie (Duquesne University, USA), Alphée Mpassi vient de compléter ses études en Master Recherche en Philosophie à Radboud University à Nimègue au Pays-Bas. Il concentre ses recherches sur l’herméneutique philosophique et la biopolitique (notamment sur la pensée de Giorgio Agamben). Son projet doctoral en cours porte sur l’interaction entre l’oikonomia, l’éthique et le bonheur dans la pensée de G. Agamben. Alphée est l’auteur de Introduction à la méthode herméneutique de Hans-Georg Gadamer, Paris : L’harmattan, 2016 et de Préjugé, autorité et tradition chez Hans-Georg Gadamer dans Vérité et Méthode, Laval : Revue Phares, 2009.


[1] Désormais LS et FT.

[2] Awazi, De Laudato Si’ à Fratelli Tutti, 25.

[3] Ibidem, 28.

[4] Agamben, The Signature of All Things.

[5] Ibidem, 61.

[6] Ibidem, 63.

[7] Ibidem, 65.